Agir pour les jeunes et leur accès à la culture
- Oriane
- 11 juin
- 6 min de lecture
Dernièrement, l’exposition « Au fil de l’or » au musée du quai Branly. Mon billet étudiant gratuit m’a fait me poser quelques questions : depuis quand la culture est-elle plus accessible pour les jeunes ? L’est-elle réellement partout ? Voici un aperçu historique et sociétal de cette évolution, des réflexions, ainsi que plusieurs ressources sur le sujet.
En juin 2024, une étude d’OpinionWay pour Sofinco, filiale du groupe Crédit Agricole, s’intéressait à la situation financière des étudiants. Sur un budget mensuel moyen de 700 euros, les étudiants dans l’enseignement supérieur consacrent environ 53 euros pour leurs sorties et loisirs (incluant la culture, le sport, les soirées entre amis… ). Leurs dépenses culturelles sont donc noyées parmi d’autres types de dépenses. Cette situation est une clé d’entrée pour faire en sorte que les jeunes aient un meilleur accès à la culture. Mais se pose la question de la méthode : faut-il aider les jeunes à payer leurs activités culturelles en leur allouant une somme, ou bien inciter les institutions culturelles à baisser les prix de leur billet d’entrée ?
Démocratiser la culture : un premier enjeu
Remontons plusieurs années en arrière. La période de l’après-guerre marque le début d’une démocratisation culturelle globale. Dans les années 1950-1970, l’État commence à investir massivement dans la culture. La création du ministère des Affaires culturelles, dans le premier gouvernement de la Ve République, annonce déjà une reconnaissance de la culture comme enjeu d’État. Ce ministère est confié à André Malraux, écrivain et intellectuel engagé, qui prend ses fonctions en juillet 1959. À partir de là, de nombreuses institutions se développent pour offrir un accès peu coûteux, parfois même gratuit, à la culture : bibliothèques, musées, MJC (Maisons des Jeunes et de la Culture).
Peu de temps après, les médias de masse - télévision, radio, presse, cinéma - deviennent des vecteurs puissants de diffusion de la culture. Dès les années 1980, les jeunes y accèdent facilement, souvent gratuitement. Les émissions culturelles et éducatives ne manquent pas, rendant la culture plus ludique et attrayante : « Dimanche Martin » (1980-1998), « La Dernière Séance » (1982-1998), « À cœur et à Kriss » (1980-1981), et bien d’autres !
Dans les années 2000, c’est au tour du numérique de bouleverser les codes. Internet permet un accès instantané à une immense variété de contenus culturels (livres numériques, musiques, films, documentaires, visites virtuelles de musées, cours en ligne), quand les plateformes (YouTube, Netflix, Spotify, Instagram…) facilitent la vulgarisation et la popularisation de la culture.
Car oui, les multiples visages de la culture sont à prendre en compte. En avril 2018, une étude de l’Observatoire Cetelem du groupe BNP Paribas Personal Finance, révélait les pratiques culturelles des Français. Si la plupart associent la culture à des cadres très classiques, la tranche d’âge des jeunes appréhende, elle, plus largement le domaine. Voici une partie des résultats :

La « culture jeune » : qu’est-ce que c’est ?
Dominique Youf, philosophe spécialisé dans la question des droits de l’enfant, explique comment penser la « culture jeune » dans un article de la revue Les Cahiers dynamiques. La « culture jeune » est celle qui est propre à la génération des jeunes. Elle désigne à la fois les pratiques, valeurs, références, codes, styles et formes d’expression propres aux adolescents et jeunes adultes. Si les goûts musicaux, la manière de s’habiller et de parler peuvent varier d’un jeune à un autre, ils gardent le point commun de se distinguer de ceux de leurs parents. En réalité, la culture jeune, c’est une façon pour eux d’exprimer une identité et une subjectivité propres. Elle est une rupture partielle avec la culture des générations précédentes, marquant une volonté d'affirmation.
« Il n’y a pas opposition entre cultures jeunes et culture classique dans la mesure où certains de ces modes d’expression vont être reconnus dans le monde de l’art, du sport et de la musique. » - Dominique Youf
Les initiatives récentes
Plusieurs initiatives en faveur de l’accessibilité des jeunes à l’art ont vu le jour ces dernières années. Si nous pensons en premier lieu à la gratuité des collections permanentes des musées nationaux, accordée depuis le 4 avril 2009 aux jeunes de moins de 26 ans, il est aussi utile de mentionner le Pass Culture lancé en 2019 en France. De nombreuses institutions proposent également des réductions pour les jeunes avec les tarifs étudiants. Ces mesures concourent à une meilleure accessibilité à la culture, en aidant les jeunes à payer leurs biens et leurs activités.
Nous le savons, l’intérêt pour la culture contribue au développement de l’esprit critique, de l’épanouissement, et participe à la construction de la perception du monde passé, présent et futur. De réels bénéfices ! Cependant, si nous pensons en termes de situation géographique et personnelle, un jeune n’aura pas la même offre, ni la même demande qu’un autre. Une seconde méthode se dessine alors : faut-il aider les jeunes à payer ou bien à diversifier leurs activités culturelles ?
Il existe plusieurs sphères de diffusion de la culture : les institutions scolaires, les universités, le milieu familial et la sociabilisation. Pour ces deux dernières sphères, plus relationnelles, la famille, les amis et les réseaux sociaux en sont les prescripteurs. Notons aussi la question de l’initiation, qu'elle soit entre jeunes, entre générations différentes ou entre personnes de cultures différentes. C’est un enrichissement réciproque du regard que nous portons à la culture. Mais après que le désir de culture a été transmis, comment continuons-nous à en dépendre une fois devenus autonomes ? Deux facteurs sont à prendre en compte : les préférences et les freins. Le premier découle de stimulus de l’environnement et de l'entourage. Le second peut être divisé en deux catégories : les freins objectifs comme les transports, les prix, et psychologiques comme la légitimité, la révolte, l’auto-censure, le concept de l’entre-soi.
La question de l’accessibilité repose donc aussi sur le plan psychologique. Le concept de l’entre-soi, entre autres, désigne un regroupement de personnes aux caractéristiques communes, tel que le milieu social ou l’âge. Il est néanmoins important de continuer à décloisonner les publics, faire l’expérience de la curiosité et faire comprendre que nous sommes libres de venir à n’importe quelle activité culturelle. La culture est aussi un échange, une conversation, et les jeunes peuvent y venir avec leurs propres codes et leurs propres références.

Dans un podcast de Radio France, la directrice de la MJC de Saint-Denis évoque une initiative de l’établissement : mettre en place un Conseil des jeunes pour qu’ils discutent de leurs attentes envers la MJC, et qu’ils puissent les rapporter à des interlocuteurs. Si le cadre institutionnel est, selon elle, à préserver, elle accorde une grande attention aux rencontres entre artistes et élèves dans les écoles. La place de la culture dans la société est aussi à garder en ligne de mire.
De plus, elle propose une mesure que j’ai trouvée intéressante : un Pass pour accéder à une activité culturelle particulière en illimité, à un tarif réduit destiné aux jeunes et avec un engagement sur le mois ou l’année. Avec ce budget fixe, nous sommes autonomes sur la façon dont nous voulons profiter de l’offre ; cela incite à la curiosité. À la MJC de Saint-Denis, cette mesure a récemment été mise en place, avec un pass à 7 euros par mois pour un engagement sur 10 mois, permettant de voir et revoir les spectacles du théâtre. Résultat : les jeunes ont vu en moyenne 8 spectacles, ce qui est notable, et 75% des personnes du Pass sont de nouveaux spectateurs.
Finalement, un grand travail de démocratisation a déjà permis aux jeunes d’accéder à la culture. Pour avoir un équilibre entre offre et demande, la question de la méthode dépend de plusieurs facteurs : l’initiation, le désir de culture, les freins objectifs et psychologiques, les préférences, l’offre. Tout ceci pris en compte, il ne suffit pas d’aider les jeunes à payer leurs activités, il faut aussi agir sur ces facteurs, en particulier dans l’éducation. Selon moi, la culture jeune ne peut pas leur être enlevée, et l’offre culturelle ne doit pas s’y adapter. Chaque initiative est un pas de plus vers une meilleure accessibilité, qu’elle émane des parents, des établissements scolaires et universitaires, des institutions culturelles ou de l’État.
------- Ressources utiles --------
Mathias Bernard, La culture jeune : objet d’histoire ? sur Open Edition Journals, page 89 à 98, mis en ligne le 20 février 2014, URL : https://journals.openedition.org/siecles/1465
Etudiant.gouv, Se cultiver sans se ruiner, mis en ligne le 10 juin 2024 sur etudiant.gouv.fr, URL : https://www.etudiant.gouv.fr/fr/se-cultiver-sans-se-ruiner-1348
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